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vendredi 18 avril 2025

Une transformation agile vue de l'intérieur – récit d’un an de bascule collective




Introduction : comprendre avant de transformer

Une transformation agile commence rarement par des outils ou des cérémonies. Elle débute par une réalité plus crue : des tensions, des dysfonctionnements, des douleurs. Des femmes et des hommes qui essaient de collaborer, mais qui se heurtent à des silos, à de la défiance, à de la fatigue. Avant d’imaginer des solutions, il faut écouter. Comprendre. Cartographier les irritants et les besoins. C’est par ce chemin que nous avons engagé une transformation à grande échelle.

Pendant plusieurs semaines, nous avons mené un travail d’observation et de diagnostic. Entretiens avec les équipes, ateliers de verbalisation, audit de l’existant : pratiques, outils, documentation, processus, flux de demandes. Nous avons notamment analysé les boards JIRA, les méthodes de priorisation, les interactions entre équipes, les points de friction avec les métiers. Nous avons confronté les ressentis avec des éléments factuels. Et ce travail de diagnostic a permis d’ouvrir les yeux collectivement.

Des verbatims forts ont émergé :

  • « Le meilleur moyen d’obtenir quelque chose de l’IT, c’est de ne rien leur demander. »
  • « On n’a pas de roadmap, pas de vision, tout arrive en vrac. »
  • « Il y a des dépendances non gérées et personne pour les arbitrer. »
  • « On est en silos, chacun optimise son coin. »

Afin de repondre à ces defis de transformation, nous avons travaillés en 4 grandes phases que nous détaillerons par la suite.











Phase 1 – Rétablir les conditions d’un dialogue constructif

Nous avons commencé par créer des espaces sécurisés pour parler. Mettre à plat. Nommer les irritants. Recréer les bases d’un contrat social dans le train. Ce n’était pas simple. Les tensions étaient anciennes. Les postures défensives. Il a fallu du temps pour recréer de la confiance. Mais à mesure que les gens parlaient, que les zones d’incompréhension s’éclaircissaient, un socle s’est reformé.

C’est dans ce climat que le coach/RTE a travaillé main dans la main avec deux figures clés : la responsable du pôle (manager hiérarchique) et le responsable digital (interface historique entre les métiers et l’IT). Ensemble, ils ont porté le pilotage de la transformation à travers une équipe LACE local hebdomadaire. Cette équipe  LACE est devenu le cœur de la cohérence de la transfo : un espace d’alignement, de traitement des irritants, de décision sur les sujets structurants. Sans leur soutien, rien n’aurait été possible. Leur compréhension constante, leur implication visible, ont permis d’ancrer la transformation dans la réalité du terrain.


Phase 2 – Structurer la démarche autour de l’humain et du temps long

Nous avons présenté un plan d’action au management, co-construit à partir des points de douleur identifiés. Puis, nous avons embarqué les équipes. Le plan se déployait en trois temps :

  • Mise en place du cadre et des premiers rituels : 2 à 3 mois
  • Montée en puissance progressive : 3 à 6 mois
  • Recherche de performance stabilisée : au bout d’un an

Nous avons introduit un backlog transverse de Features/Enablers, priorisés collectivement avec un système simple mais robuste. Ces tickets JIRA permettaient de créer une vision inter-équipes, partagée par les Product Owners et Business Owners. La priorisation par la valeur a été progressivement structurée par le WSJF.

Chaque élément de backlog s’est inscrit dans une double traçabilité :

  • Vers les User Stories concrètes, à l’échelle des équipes
  • Vers les Initiatives stratégiques de l’entreprise

C’est ce lien stratégique-opérationnel qui a permis au train de se connecter aux enjeux de l’organisation. Une roadmap à 9 mois, une vision à plusieurs années.



Phase 3 – Rythmer la transformation par des jalons concrets

Chaque PI Planning est devenu un jalon majeur. Organisé tous les trimestres, chacun était précédé de plusieurs semaines de préparation. Les premiers ont été chaotiques. Les équipes venaient sans clarté, les sujets étaient flous, les dépendances non anticipées.

Mais chaque PI Planning s’est accompagné d’une rétrospective collective. Très tôt, les équipes ont commencé à verbaliser leurs ressentis : ce qu’il fallait arrêter, continuer, améliorer. Les verbatims ont évolué de manière frappante :

  • PI 1 : « Il y a de la tension, trop de flou, les BO ne sont pas là. »
  • PI 2 : « On sent une amélioration, mais on a encore trop d’imprévus. »
  • PI 4 : « C’est mieux, les équipes se coordonnent. »
  • PI 5 : « On se sent fiers. On a tenu nos engagements. »
  • PI 8 : « Nous sommes un vrai collectif. One Team. »

Des rétrospectives créatives (métaphores, jeux, visuels) ont permis d’ancrer les progrès de manière vivante. Elles ont aussi servi de base à l’auto-évaluation.

 

 Image : Évolution des feedbacks de rétrospectives PI 1 à PI 8 (verbatims ou mood)

Un lien régulier avec le top management : socle de confiance

Chaque plan trimestriel issu du PI Planning était présenté, challengé et validé par le top management de l’organisation. Cette revue formelle, menée avec les VP concernés, permettait d’aligner les priorités, de conforter les arbitrages et de garantir l’engagement de tous les étages de la structure. Ce lien n’était pas ponctuel. Ces instances trimestrielles s’appuyaient sur une implication continue des dirigeants, en amont, pendant et après chaque PI Planning.

Ainsi, le top management ne découvrait rien, mais confirmait des choix mûris ensemble. Cette continuité a permis de bâtir une chaîne de confiance, du développeur aux VP, en passant par les PO, BO et managers. Une seule équipe élargie, un seul plan, un seul engagement collectif.

Une gouvernance d'exécution continue : rôle central des Scrum Masters

Au quotidien, ce sont les Scrum Masters qui ont joué un rôle déterminant pour piloter l’exécution des engagements. Chaque semaine, ils participaient à une session de pilotage opérationnel, animée par le RTE, pour suivre l’avancement du trimestre, ajuster si besoin, et partager les risques.

Cette gouvernance fine, ancrée dans les réalités d’exécution, a été d’autant plus essentielle que les équipes étaient réparties sur 3 à 4 pays. Le lien constant entre RTE et Scrum Masters a permis de garantir un haut niveau de visibilité, de coordination et d’anticipation. Là encore, le collectif a été la clé.

Un relais structurant : le Chapter RTE

En parallèle du pilotage hebdomadaire, le Chapter RTE a joué un rôle essentiel comme catalyseur de la progression collective. Cet espace transverse, réunissant les Release Train Engineers et les coachs des autres trains de l’organisation, a permis de mutualiser les retours d’expérience, de partager les bonnes pratiques, d’harmoniser les outils et d’ajuster certaines postures.

Il a aussi offert un lieu de recul précieux, permettant de prendre de la hauteur sur les défis systémiques rencontrés. Ce relais entre terrain et stratégie a contribué à la cohérence globale de la transformation. En s’appuyant sur les échanges du Chapter, nous avons régulièrement adapté notre feuille de route, accéléré certains chantiers et mieux synchronisé nos actions avec le reste de l’organisation.


Passer d'un changement souhaité à un changement piloté: l'équipe LACE

Notre rituel autour du LACE (au niveau du train) réunissait chaque semaine le Coach/RTE, la Responsable du Pôle (manager hiérarchique) et le Responsable Digital et le VMO (pilotant les initiatives de la Value Stream dans laquelle etait le Train). Le RTE en animait les séances et y apportait les sujets issus du terrain. Chaque point structurant, chaque friction, chaque irritant majeur faisait l’objet d’un échange franc et orienté action.

Un board visuel, partagé et actualisé à chaque réunion, permettait de suivre ces décisions. À l’issue des huit trimestres, ce sont près de 140 actions qui ont été traitées dans cet espace de pilotage. Cette instance a joué un rôle-clé dans l’ancrage de la transformation. Elle a permis une convergence managériale constante, une capacité à trancher collectivement et une vraie continuité stratégique.

C’est cette équipe  LACE qui a permis de passer d’un changement souhaité à un changement piloté.


Phase 4 – Consolider la démarche par des indicateurs de maturité

À partir du deuxième trimestre, nous avons introduit des indicateurs plus formels. D’abord les ROTI, puis le NPS métier, les taux de prédictibilité de la Business Value, les scores de confiance des équipes. Enfin, des business agility assessments (radars) réalisés tous les 6 mois et suivi par le LACE.



 Image : les 4 radars Business Agility (mai 2023 → déc 2024) pour visualiser la progression continue

 Image : Graphique de throughput par PI (nombre de tickets JIRA en « Done » par trimestre)

Ces radars montrent une progression nette sur tous les axes, en particulier sur :

  • L’alignement stratégique
  • L’Agile Product Delivery
  • La culture de l’apprentissage continu



Bilan un an après : les marqueurs d’une transformation réussie

Le succès de cette transformation repose autant sur l’engagement des équipes que sur la constance du pilotage managérial. L’implication hebdomadaire des managers dans le LACE, leur capacité à prendre des décisions rapides et à donner du sens à l’action, ont permis d’aligner durablement stratégie et exécution. Ce socle de gouvernance a offert aux équipes un cadre clair, soutenant, évolutif.

L'etat de la transformation aprés plusieurs trimestres:

  • Une vision et une roadmap partagées entre IT et métiers
  • Une planification par trimestre, lisible et soutenable
  • Des BO présents, actifs, contributeurs
  • Des équipes qui ont la main sur leurs engagements
  • Une équipe  LACE structurante, garante de la cohérence et validant les grandes orientations
  • Une architecture transverse qui s’est mise en place progressivement
  • Un backlog alimenté et priorisé en continu
  • Un climat de confiance, de fierté, de projection
  • Un lien stratégique → opérationnel clair sur chaque MMF
  • Un pilotage hebdomadaire de l’exécution, animé par le RTE et les Scrum Masters




Conclusion : transformer, c’est créer un récit commun

Cette transformation a marché parce qu’elle a su respecter le tempo des humains. Écouter avant d’agir. Expérimenter plutôt qu’imposer. Et surtout, incarner. Le coach n’est pas un chef d’orchestre lointain, il est au cœur du système. Il s’appuie sur le management, il respecte les doutes, il accompagne les progrès.

Cette démarche est le fruit de dix années d’expériences de transformation que j’ai menées. Elle ne prétend pas être un modèle, mais une trajectoire possible. Elle a produit un train agile inspirant, qui livre, apprend et donne envie.


Dans les semaines à venir, je publierai des zooms thématiques sur trois piliers majeurs de cette transformation :

  1. Créer un backlog transverse piloté par la valeur
  2. Organiser un PI Planning qui crée de l’alignement réel
  3. Piloter une transformation par le ressenti, pas par les slides



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